Dans Mon Afrique, Lucie Pagé racontait ses dix années passées en Afrique du Sud. Il y était question de la situation politique post-apartheid, des conditions de vie et de travail des Noirs et de sa vie amoureuse avec Jay Naidoo, un charismatique syndicaliste sud-africain, avec qui elle a eu deux enfants et trois mariages, et vécu de nombreuses tribulations !
En terminant sa rédaction avec « Cette histoire est loin d’être finie… », Lucie Pagé ne se doutait pas que les lectrices et lecteurs seraient nombreux à réclamer une suite pour satisfaire leurs interrogations.
Un couple intercontinental et mixte est-il viable ? Comment élève-t-on des enfants sur deux continents ? Qu’advient-il de Nelson Mandela depuis 1999 ? L’apartheid est-il bel et bien révolu ? Les conditions de vie des femmes en Afrique se sont-elles améliorées ? Notre Afrique contient les réponses à toutes ces questions.
​
Publié par Libre Expression
Prologue
Pour la première fois en 1990, j’ai mis les pieds en Afrique du Sud pour effectuer une dizaine de documentaires sur ce pays qui libérait le plus célèbre prisonnier du monde : Nelson Mandela. Dans le cadre de ces reportages, j’ai interviewé le secrétaire général du Congrès des syndicats sud-africains, Jay Naidoo. Nous nous sommes mariés et avons eu deux enfants ensemble. J’avais déjà un fils, Léandre, quatre ans, en garde partagée avec son père. Je l’ai laissé au Québec pendant les six premiers mois qui ont suivi mon déménagement en Afrique du Sud. Dans Mon Afrique, j’ai écrit « Léandre pleurait. Il s’accrochait à mon cou comme s’il s’agissait d’un adieu définitif. Son étreinte m’étouffait, littéralement. « Mais qu’est-ce que j’ai fait? » me disais-je. Nous avons dû nous mettre à deux, son père et moi, pour arracher ses petits bras tendus et tremblants de mon cou. J’ai dévalé l’escalier à toute vitesse, aveuglée par mes larmes. Les cris et les pleurs de mon fils me suivirent jusque dans la rue. »
​
Déménager en Afrique du Sud – pour répondre à deux appels : la passion d’un travail et l’amour d’un homme – fut la plus difficile, terrible et grave décision de ma vie. Avec plus de quinze ans de recul, je peux affirmer à présent que ce fut pourtant la meilleure. Ce qui n’enlève pas dans mon coeur de mère des souvenirs meurtriers : voir mon enfant pleurer, entendre encore dans mes cauchemars – et le jour aussi, en attendant à un feu rouge ou en faisant la queue dans un magasin – ses cris de désespoir lors de mon départ et ses petits poings frappant dans la vitre de la voiture lorsqu’il est arrivé à Johannesburg pour la première fois à l’âge de quatre ans : « Pourquoi es-tu venue en Afrique, maman? Pourquoi es-tu venue en Afrique? » Mon destin me force à me ressaisir constamment.
​
Alors que j’ai écrit Mon Afrique dans la région de la Gatineau, entourée de forêts québécoises, j’ai rédigé ces lignes dans la forêt urbaine de Jozi, surnom de johannesburg qui tente de remplacer celui de Joburg. Celui-ci reflète un passé plus négatif de la ville. Cette fois-ci, quand je suis repartie du Québec, en 2005, Léandre avait dix-huit ans. Quand j’ai dû le quitter, c’est moi qui me suis accrochée au cou de mon beau Léandre d’amour d’un mètre quatre-vingts : ce sont mes bras tendus et tremblants qu’on a dû arracher d’autour de mon fils; ce sont mes pleurs qui ont résonné. Léandre était calme. Il avait bien appris la leçon que je lui avais enseignée très souvent : celle de dire au revoir en sachant qu’il ne s’agit « que » de « quelques dodos ». Je croyais, j’espérais, je rêvais qu’un jour il y aurait une solution à ce déchirement. Or, cela m’a pris quinze ans pour m’apercevoir que mon destin était tout autre : je devais accepter de ne jamais voir ma famille au complet, mes trois enfants et mon mari, vivre sous un même toit.
​
Cette grande et difficile décision me fait toujours mal. Mais elle reste encore et toujours la meilleure que j’aie prise.