top of page

Eva (2005)

eva livre.jpg

Papier: 19,95 $

ePub: 17,99$

Eva nous amène, au fil d'une intense histoire d'amour, à découvrir les pires années de l'apartheid, de 1964 jusqu'à la libération de Nelson Mandela, en 1990. Malgré des épreuves difficiles imposées par l'Histoire, un nouveau pays s'est construit avec l'amour, la solidarité, le sang et les chants de libération.

Prologue

Le 11 juillet 1963, un camion de nettoyage à sec arriva à Lilliesleaf Farm, dans le quartier Rivonia en banlieue de Johannesburg. Les hommes à l’intérieur de la maison ne se doutaient de rien et continuaient à élaborer leur projet d’attaque, baptisé Opération Mayibuye, qui devait mobiliser des troupes d’autres pays, des sous-marins et des avions militaires dans le but de renverser le régime de l’apartheid. En octobre 1961, Nelson Mandela avait établi, dans cette bâtisse relativement isolée de Rivonia, le quartier général de l’Umkhonto we Sizwe, appelé tout simplement le MK, la branche armée du Congrès national africain, l’ANC, banni l’année d’avant. Dans cette ferme secrètement achetée par le Parti communiste et camouflée en centre d’équitation étaient planifiées les opérations clandestines.

Une meute de policiers et de chiens sortit du camion. Tous les hommes furent arrêtés. On émit aussi un mandat d’arrestation à l’endroit de Nelson Mandela, qui était déjà derrière les barreaux depuis 1962. purgeant une peine de cinq ans de prison pour avoir quitté le pays illégalement et incité des travailleurs à la grève. La police confisqua des centaines de documents, certains écrits de la main de Nelson Mandela, qui fut ainsi inculpé en tant que chef du MK.

L’accusation qui pesait contre eux était lourde : ils étaient passibles de la peine de mort. Ils avaient commis 222 actes de sabotage, dont le bombardement du bureau du ministre de l’Économie et du Marketing à Pretoria en octobre 1962, et avaient causé des dommages au réseau ferroviaire, aux pylônes électriques, aux lignes téléphoniques et à divers édifices gouvernementaux. Mais surtout, ils avaient conspiré pour renverser le gouvernement blanc par la force. Les accusés plaidèrent tous non coupables, affirmant que le gouvernement, et non eux, était responsable de l’épouvantable climat politique et social de l’Afrique du Sud.

Dans son plaidoyer, Nelson Mandela parla pendant près de cinq heures. Il admit avoir été un des fondateurs de la branche armée de l’ANC, en décembre 1961, peu avant son arrestation en août 1962, mais nia que ses activités ou que « la lutte en Afrique du Sud » était de quelque façon que ce soit inspirée par le Parti communiste, comme le prétendait le gouvernement. Il reconnut avoir planifié des actes de sabotage, mais pas dans « l’esprit de destruction gratuite » – toujours selon le gouvernement – « ni par amour de la violence. Je les ai planifiés après une appréciation calme et réaliste de la situation politique, après des années d’oppression et de tyrannie de mon peuple par les Blancs. Et puisque tous les autres moyens d’opposer le principe de la suprématie blanche étaient interdits par la loi, nous avions le choix entre accepter l’infériorité ou la combattre par la violence. Nous avons choisi cette dernière option ». Il termina son plaidoyer avec ces mots : « J’ai combattu la domination blanche. J’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idée d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient ensemble en harmonie et sur un pied d’égalité. C’est un idéal pour lequel je vis et que j’espère atteindre. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

L’avocat de la défense, Harold Hansen QC, ajouta : « Le point de vue de ces accusés représente la lutte du peuple africain pour l’acquisition des droits égaux pour toutes les races de ce pays. »

Le 12 juin 1964, une immense foule, guettée par des centaines de policiers, attendait en silence à l’extérieur de la Cour de Pretoria. Dans la salle d’audience bondée, le juge Quartus De Wet ouvrit le dossier placé sur son bureau et sortit une feuille de papier sur laquelle reposait le destin des huit hommes devant lui. Aucun bruit ne troublait l’assemblée, comme si tout le monde avait retenu son souffle en même temps, comme si l’avenir du pays dépendait de ces huit inculpés dans le box des accusés : Nelson Mandela, avocat et ex-secrétaire général du Congrès national africain; Walter Sisulu, aussi un ancien secrétaire général de l’ANC; Dennis Theodore Goldberg, un ingénieur civil du Cap et membre exécutif du Congrès des démocrates, allié à l’ANC, un des rares membres blancs du MK; Govan Archibald Mbeki, un journaliste de Port Elizabeth; Ahmed Mohammed Kathrada, ancien secrétaire général du Congrès indien du Transvaal; Raymond Mhlaba, un leader de l’ANC, du Parti communiste sud-africain et du MK; Elias Motsoaledi, syndicaliste et membre du MK; Andrew Mlangeni, secrétaire régional – Soweto – de l’ANC. Il ne manquait que Lionel Gabriel « Rusty » Bernstein, un architecte, un Blanc, leader du Parti communiste d’Afrique du Sud et membre fondateur du Congrès des démocrates, qui fut acquitté plus tôt, faute de preuves.

Le juge Quartus De Wet commença par dire qu’il n’était pas convaincu que les actions des accusés furent motivées par le réel désir d’aider les Noirs de ce pays.

       – Les gens qui organisent des révolutions cherchent non seulement à prendre le contrôle du gouvernement, mais aussi à satisfaire leur ambition personnelle.

Le juge De Wet parlait très doucement. Il marqua une pause avant d’annoncer la sentence. Certaines gens pleuraient déjà. On entendit à peine la voix du juge :

      – Le crime pour lequel les accusés ont été reconnus coupables, soit le crime principal, en est un de conspiration, et il constitue en soi un acte de haute trahison. Or, l’État a choisi de ne pas porter d’accusations en ce sens. Considérant cette décision et après mûre réflexion, j’ai choisi de ne pas imposer la peine capitale, une sentence coutumière et appropriée dans un cas semblable. Je ne peux me montrer plus indulgent sous peine de déroger à mon devoir. Tous les accusés seront donc condamnés à une peine de prison à vie.

Les hommes se regardaient et souriaient. Mais personne dans l’audience n’avait entendu le verdict. L’épouse de Dennis Goldberg, dans l’assemblée, lui fit signe et dut presque crier pour lui demander :

     – Dennis, qu’est-ce que c’est? Quel est le verdict?

     – La vie! lui cria-t-il. La vie! Vivre!

La foule éclata alors en cris et en pleurs de joie. Les hommes quittèrent la salle d’audience sous les chants des gens Dehors, on attendait toujours le verdict.

Vingt-quatre autres personnes, dont Looksmart Solwandle Ngudle (qui s’était « suicidé » en prison en attendant le procès) et Vavi Mvini, le bras droit de Mandela, furent accusés de complicité indirecte. Leur peine varia d’une simple amende à l’assignation à résidence. Puisqu’il avait été reconnu coupable, le cercueil de Looksmart Ngudle fut transféré au cimetière pénitentiaire.

Ainsi se termina le célèbre procès de Rivonia, qui changea le cours de l’histoire de l’Afrique du Sud.

Dans la foule, dehors, ce fut l’euphorie à la sortie des huit hommes menottés de la cour de justice. Les vingt-trois autres accusés, assignés à résidence pendant cinq ans, les suivaient.

Avant de monter dans le fourgon cellulaire, Nelson Mandela, les mains dans le dos, réussit à remettre à Vavi Mvini un bout de papier. Dans la voiture de police qui le ramena chez lui, Mvini le sortit discrètement et lut : « C’est à toi, maintenant. Je te laisse les rênes. Tu es jeune et intelligent. Tu es dans la lutte pour qu’elle aboutisse. Je te fais confiance. Ne prends pas de risques inutiles. »

Ces derniers mots lui résonnèrent dans la tête : « Ne prends pas de risques inutiles. »

bottom of page